L'effraction de l'intime : récit

Ce qu'on en pense

La lecture du livre-témoignage de Jean-Pierre Rosa a été un choc. D’abord parce que nous nous connaissons : nous nous sommes connu aux Semaines sociales, où nous avons travaillé ensemble pour la librairie de la réunion annuelle des Semaines. La qualité d’écriture est telle que je croyais l’entendre comme s’il me parlait. Pour ses engagements, son immense culture, son humour fin et discret, son mélange de mesure, de prudence, de distance, de calme, c’est quelqu’un que j’admire profondément. Savoir que cet homme avait connu “ça” a été un choc terrible, horrible. Je ne le savais pas, je n’avais rien perçu. Alors soyez sûrs que, même si vous ne le savez pas, vous avez dans votre entourage plusieurs victimes : en silence, elles portent toujours intacte en elles une blessure qui ne cicatrise pas. Et soyez sûrs que pour survivre à “ça” il faut un courage que “les autres” (les non-victimes) n’imaginent pas.

Qualité d’écriture car Jean-Pierre Rosa raconte “ce qui s’est passé” précisément et sans rien passer sous silence mais avec une écriture blanche et très pudique, froide et méticuleuse, avec une grande maîtrise et beaucoup de dignité. Tout est dit sans jamais une once de malaise ou d’impudeur. Sans même jamais une once d’émotion. C’est, du point de vue de l’écriture, un vrai tour de force. L’absence d’excès donne alors une grande force au récit.

Le résumé d’Electre est inexact. D’abord il ne s’agit pas d’un “chef scout” mais d’un autre scout, juste un peu plus âgé : or l’ascendant de l’âge ou de la position est un facteur aggravant. Ensuite il n’y a pas eu “agression” mais tentative. Juste une fois : l’aumônier a pris les choses en main pour que ça ne se reproduise pas et aider au mieux le jeune scout. Et pourtant… et pourtant “ça” a tout détruit. Et “ça” a eu des conséquences sur toute une vie et tous les aspects de cette vie. Jean-Pierre Rosa – que je connais pour être sans excès et avec une grande force intérieure – confesse que “ça” a envahi toute sa vie : il confesse que les conséquences de “ça” – et d’abord pour survivre et s’en sortir – sont le fil conducteur et la clef de tout ce qu’il a fait, de tous ses engagements. Oui, des dizaines d’années plus tard d’une vie riche d’engagements personnels, familiaux, professionnels, associatifs, militants, ce qui peut l’expliquer et la comprendre, c’est… “ça”. Si une tentative, une fois, a provoqué autant de dégâts et avec tant de conséquences, et chez un homme solide et posé, on mesure le pouvoir hautement destructeur que “ça” peut avoir.

La préface de Sr Véronique Margron est admirable. Avec son calme, sa force intérieure et sa détermination, elle rappelle qu’il faut en finir avec les injonctions Tourne la page ! Pardonne ! Ses mots ont une grande force et ils sont profondément justes : ils sont les seuls, je crois, que l’on puisse dire à un adulte qui, dans un autrefois toujours à vif des dizaines d’années plus tard, a lui aussi connu “ça”.

Jef, libraire à la Procure de Paris